
Le 2 novembre prochain, un cortège d’un nouveau genre prendra possession des espaces publics de São Paulo : la Zombie Walk. Cet évènement annuel, qui a rassemblé l’année dernière plus de six mille paulista, mérite donc qu’on s’attarde le temps d’un article sur ce qui semble être le symbole d’une nouvelle génération.
Késaco ? C’est quoi la Zombie Walk ?
Le terme Zombie Walk — littéralement “défilé de zombies” — décrit un phénomène peu commun : des milliers d’âmes errantes parcourant les rues de São Paulo d’une démarche saccadée, dans un état de décomposition plus ou moins avancé, effrayant au passage quelques pieux passants et se jouant des règles de la collectivité.

Crédits Adar Rodrigues
Née dans les années 2000 sur le continent nord-américain, cette manifestation fleurit peu à peu partout dans le monde.
Traditionnellement l’apanage des “geeks” et autres fans de The Walking Dead, elle se transforme en un phénomène de société, mobilisant toujours plus de participants.
À São Paulo, une gigantesque Zombie Walk
Le principe est simple : Il suffit de se grimer en zombie — de manière plus ou moins réaliste selon les talents de chacun — et de se rendre au lieu de rendez-vous indiqué par les organisateurs. La face ainsi ensanglantée, on tend les bras, fait une grimace, et la marche peut alors commencer. C’est ouvert à tous et complètement gratuit, aucune inscription préalable n’est nécessaire.
Organisée par une bande d’amis qui trouvaient que, décidément, on s’ennuyait ferme le jour de la fête des morts, la première Zombie Walk de São Paulo s’est déroulée en 2006. Une fois la date et le lieu fixés, le bouche à oreille s’est mis en marche et malgré l’absence totale de site internet ou de médiatisation, 300 personnes ont défilé dans les rues ce jour-là.
Fort de ce succès, elle a pris depuis une ampleur grandissante, rassemblant jusqu’à 6000 zombies-d’un-jour en 2011. En guise de comparaison, la Zombie Walk parisienne d’octobre 2012 a mobilisé 2000 parisiens.
Outre ses dimensions géantes, la Zombie Walk de São Paulo se distingue aussi par son caractère anarchique. L’équipe à l’origine de l’évènement conserve l’anonymat et confronte clairement chaque participant à ses propres responsabilités. Non déclarée à la police, la manifestation se veut spontanée et sans contrôle particulier. Les organisateurs se contentent d’actualiser les informations présentes sur internet, de répondre aux éventuelles interrogations, de planifier le lieu et le parcours et d’accueillir les morts-vivants le 2 novembre.
Au pays des zombies, pas de lois, chacun est libre de ses choix et responsable de ses actes. Ce système semble fonctionner puisqu’après 6 éditions, il n’y a jamais eu d’incidents à déplorer, si ce n’est un blocage temporaire de la circulation.
Une mise en situation de la fin du monde
Le monde est sujet à une véritable zombie-mania, il suffit de taper “zombie” pour trouver des centaines de sites, certains décrivant et retraçant l’histoire de ces êtres fantastiques, d’autres fournissant des conseils de survie en cas d’invasion, tandis que les derniers vont jusqu’à répertorier les faits divers les plus suspects.
Avec le 11 septembre 2001, l’incident nucléaire de Fukushima et les crises économiques, sociales et environnementales, le futur qui, avant, rimait avec progrès tombe peu à peu dans un catastrophisme général. La question aujourd’hui n’est plus “Est-ce que le monde court vers sa perte ?” mais “Quand et comment la fin du monde arrivera ?”. Le philosophe Michael Foessel en a d’ailleurs fait le sujet de son livre, Après la fin du monde : critique de la raison apocalyptique.
Les peurs de notre société contemporaine face à la science semblent se cristalliser dans l’icône du zombie, qui devient un scénario de fin du monde probable. Au delà d’une “mode internet”, cette nouvelle passion pour ces êtres putrides envahit aussi le monde scientifique. Que ce soit en neurologie (Bradley Voytek) ou en relations internationales (Theories of International Politics and Zombies, Daniel W. Drezner), les études à ce sujet se multiplient. Un think tank, “La Zombie research Society” a même été créé en 2007.
Les Zombies Walk et autres manifestations permettent ainsi de redonner du sens à une vision du futur extrêmement pessimiste.
Le zombie, tout un symbole !
On aurait tendance à penser, que n’est pas zombie qui veut ! Mais ce serait rater toute la philosophie de cette manifestation. En effet, fantastiquement parlant, la condition sine qua non à toute transformation implique en premier lieu la mort de l’individu.
Des habits en loque, un visage tuméfié… Le zombie est tout d’abord une créature impersonnelle, au dessus de tous les clivages de langues, races, classes sociales ou religions. Ainsi, au delà de cette chimère qui place l’homme en dehors de son humanité c’est — le temps d’une marche — un nouveau peuple qui émerge, réuni pacifiquement pour se divertir et fracturer un quotidien citadin.
C’est aussi l’occasion pour les habitants de prendre possession de leur ville et d’occuper les espaces publics. Cela est particulièrement vrai à São Paulo où les parcs et diverses places sont plus souvent un lieu de concentration de junkies et SDF qu’un lieu d’échange et de convivialité. Alors que l’individualisme conquiert doucement les citadins, qui – pressés par le temps – sont amenés à dévaler rues et métros sans même prendre le temps de regarder son voisin, la Zombie Walk permet de se rencontrer. Preuve de son efficacité, des couples ont été créés ! Longue vie aux petits zombies !
Enfin, c’est un lieu où chacun peut exprimer librement sa créativité et se réinventer après une mort hypothétique : chasseur de zombie, victime ou survivant toutes les mises en scène sont possibles ! Le réalisme de certains maquillages est impressionnant. Si l’expérience vous laisse perplexe, je vous invite à regarder le Flickr de la Zombie Walk de São Paulo : parcourir les photos constitue déjà une aventure en soi !
Mais fidèle à São Paulo, la Zombie Walk reste avant tout un évènement festif et original pour se divertir, un jour férié !
À vos agendas !
L’édition de 2014 se déroule le 2 novembre, rendez-vous fixé à 15 heures à Praça do Patriarca, Sé, pour une marche qui débutera à 17 heures.
Pour avoir le détail du parcours, je vous invite à visiter le site officiel
Par A2 pour My Little Brasil
Créditos das fotografias : Adar Rodrigues