
Le MASP un musée à part entière
J’ai visité le MASP pour la première fois en 2007, pendant un voyage en Amérique du Sud. Comme il n’y a rien de pire que d’être en train d’admirer quelque magnifique touche de pinceau et soudainement entendre derrière soit « Hmm, pas mal… », j’ai envoyé mon copain à Butantã voir des reptiles ou je ne sais quoi. Ainsi, toute seule, je me suis dirigée avec impatience vers ce qui est considérée comme la plus importante collection d’art occidental du sud de l’équateur. Ce jour-là, le musée m’avait impressionnée. Même si c’était avant que je commence mes études d’histoire de l’art, j’ai tout de suite su que je me trouvais devant de sérieusement bonnes œuvres.
Neuf ans sont passés et nous voilà, de retour au Brésil ! Pendant les premiers mois après notre arrivée à São Paulo, je ne faisais que penser au MASP. Il m’intriguait vraiment. Je passais souvent à Paulista, j’observais la restauration de la façade du musée, je prévoyais une visite, puis je la remettais à plus tard pour des raisons peu crédibles… Le temps passait et la seule vue de l’édifice commençait à me faire culpabiliser, sans parler de tous ces gens qui me demandaient : « Historienne de l’art ? Donc tu as dû visiter le MASP ? Qu’est-ce tu en penses ? » etc. Je ne pouvais pas leur répondre « bah, il y a neuf ans… ». Non, ça le fait pas.
Alors pourquoi j’hésitais ? Pourquoi je le remettais tout le temps ma visite à plus tard ? En fait, je n’avais pas du tout peur d’être déçue ; la vérité est que je ne voulais pas que cette première visite après neuf ans soit terminée !
Et puis le jour où je me suis enfin décidée à y aller, devinez ce que j’ai appris : la collection permanente était fermée pour rénovation depuis juin. Maintenant j’ai tout compris : ça devait être une sorte de sixième sens qui m’empêchait d’approcher le musée pendant tout ce temps. Toutefois, vous comprendrez que je ne désire aucunement discuter de mon intuition avec ces fouineurs. Mais ce n’est plus la peine car maintenant je peux tout simplement leur répondre : Je ne suis pas encore allée au MASP, puisqu’il était f-e-r-m-é !
Le visite du nouveau MASP à São Paulo
Aujourd’hui, après avoir enfin visité le nouveau MASP, je peux affirmer que cela valait la peine d’attendre. Je ne sais pas ce qui m’a le plus impressionnée. Est-ce le saisissement qu’on éprouve quand on entre dans cette vaste salle et que toutes les peintures réunies nous font face ? Ou est-ce la disposition inhabituelle, faussement aléatoire ? Ou bien est-ce le contenu même de l’exposition qui nous ravit dès l’entrée ? Je n’en sais rien, mais une chose est certaine : il m’a véritablement ensorcelée.
Nul besoin de plan pour visiter la collection permanente du MASP, étant donné que tout est dans la même salle. Néanmoins, on peut se sentir quelque peu perdu dans cette « forêt » de toiles célèbres. Mais curieusement, être perdu ici semble plus agréable que dérangeant. Vous vous promenez librement d’un chef-d’œuvre à l’autre et à moins d’être ce type de visiteur super organisé, qui ne peux pas exister sans suivre un ordre donné, vous allez bien profiter de cette liberté presque ludique. J’admets que généralement je fais partie de ces visiteurs bien ordonnés, mais au MASP l’originalité de la disposition me séduit entièrement. Faites juste bien attention à ne pas rater une seule peinture !
La collection dans son ensemble est très photogénique depuis l’entrée, d’où vous pouvez la voir entièrement. Cependant, vous allez rapidement vous rendre compte que la vue générale n’est pas la seule qui soit belle. A chaque pas vers l’avant, on découvre une nouvelle perspective, une nouvelle superposition des œuvres, des styles, des périodes et des artistes. En s’approchant de Titien devant nous, on peut déjà entrevoir Goya juste derrière. Ensuite, presque au fond de la salle, on aperçoit les silhouettes allongées et les yeux vides de Modigliani, qui nous attirent irrésistiblement. Puis, quelques pas vers la droite et le collage est entièrement transformé : Modigliani disparaît, vous perdez Goya de vue, laissez Titien derrière vous… et tous les maîtres sont soudainement remplacés par d’autres, qui entrent progressivement dans votre champ de vision. Ainsi, d’une certaine manière, l’exposition se déplie devant vous.
Et ce n’est pas tout. Le Musée a décidé de revenir au projet originel de Lina Bo Bardi, l’architecte du MASP, en exposant les œuvres sur des panneaux en verre transparent. Premièrement, la disparition totale des murs contribue à donner l’impression générale que l’on se trouve dans une sorte de « forêt artistique », où les peintures elles-mêmes constituent la seule présence matérielle de l’espace : elles deviennent des « arbres », libérées de tout dérangement que les murs auraient pu produire. Essayez de regarder avec vos yeux mi-clos et vous aurez l’impression quasi surréaliste que les cadres flottent dans l’air. En somme, ce n’est que vous et l’art, rien d’autre. Enfin… vous et une cinquantaine d’autres personnes venues profiter des mardis gratuits.
Deuxièmement, cette disposition « cristalline » vous permet d’observer les revers des toiles. Assurez-vous de ne pas manquer cela. Les faces cachées (ici découvertes) des peintures peuvent en effet s’avérer très intéressantes. Elles racontent l’histoire des œuvres à travers divers cachets d’inventaire et d’expositions temporaires. Parmi les plus anciennes pièces, vous pourrez même observer des sceaux en cire.
La collection étant organisée chronologiquement, mais sans itinéraire suggéré, vous pouvez la découvrir comme il vous plaît. Ainsi, il est possible de créer sa propre exposition, avec un itinéraire unique. En avançant par rangées, vous aurez une vision plutôt « par périodes ». En allant vers l’avant, puis en arrière, puis de nouveau vers l’avant, et ainsi de suite, vous verrez en alternance les devants et les revers des peintures. Ou bien, tout simplement, laissez-vous papillonner d’une œuvre vers l’autre, au gré de vos envies.
J’ai passé trois heures dans cette salle unique (congelée par l’air conditionné…mais peu importe !) et je prévois d’y retourner bientôt. Pour moi le MASP est, par la qualité de sa collection et sa mise en exposition audacieuse, l’un des musées les plus fascinants que j’aie jamais visités.
Par Lucie Brejšová, pour My Little Brasil