
My Little Brasil a rencontré Ninon Daunis, française installée à São Paulo et fondatrice de Timirim, marque brésilienne de vêtements et accessoires pour bébés en coton biologique. Gros différentiel du produit et de la marque : tout est fabriqué au Brésil de façon éthique, selon une chaîne de production transparente qui rend hommage au pays par des imprimés exclusifs colorés, modernes et signés par des artistes nationaux.
Ninon, comment vous est venue l’idée de créer Timirim ?
Je suis ingénieure environnementale, avec une spécialité en développement rural que j’ai exercée au Laos et au Sénégal notamment. J’étais consciente de l’impact négatif de la culture conventionnelle du coton et très désireuse de travailler avec des producteurs familiaux de coton biologique.
En 2015 quand je suis revenue au Brésil cinq ans après y avoir fait une partie de mes études, la crise économique était à son paroxysme et je n’ai pas trouvé d’opportunité de travail intéressante, correspondant à mes valeurs de développement durable.
A cette, époque j’ai rencontré Julie, qui travaillait en conseil et impact investing et qui cherchait également un nouveau travail avec du sens. Je n’avais pas d’enfants mais une troupe de dix neveux et nièces en bas âge, et Julie avait son premier enfant, un bébé de 9 mois, nous étions donc toutes les deux très conscientes de l’absence d’offre de qualité et biologique pour les bébés au Brésil.
Nous avons étudié le marché, vu qu’il existait une opportunité intéressante et c’est comme ça que nous avons décidé de lancer Timirim, avec l’objectif de contrôler avec soin la chaîne de production de A à Z, depuis le champ de coton jusqu’à l’emballage des pièces une fois terminée.
Quels ont été les plus gros défis avant le lancement de la 1ère collection
La production de qualité au Brésil est un défi en soi. Le pays a pris un virage de production en masse de matière première non transformée il y a de nombreuses années, et la transformation avec forte valeur ajoutée n’est pas simple. Au-delà de cet aspect général du secteur, la production durable, biologique et éthique n’était même pas encore considérée comme balbutiante quand nous nous sommes lancées début 2016.
Nos partenaires industriels n’ont donc pas l’habitude de travailler des matériaux de qualité, par définition chers et donc précieux où l’erreur et le gaspillage ne sont pas envisageables. En revanche, ils ont tous été particulièrement intéressés par le développement de nos produits car les aspects éthique et environnemental leur plaisaient et leur donnaient envie de s’investir.
Nous avons mis 18 mois pour monter l’entreprise et la première collection. N’étant ni l’une ni l’autre du secteur de la mode ou de la confection nous avons dû tout apprendre des nombreuses étapes de transformation de la fibre de coton à la pièce finale. Mais passionnées, nous en sommes venues à apprendre des détails à des professionnels du secteur !
L’énorme avantage du Brésil c’est que les gens sont disponibles et il est très facile de rencontrer de nombreux acteurs tout à fait prêts à partager leur expérience, encore plus dans le domaine, restreint mais très solidaire, de la mode durable. Au bout de 18 mois nous avions une première collection prête, un stock à jour et tous les outils de vente en ligne et de contenus marketing prêts pour le lancement.
Et par la suite ?
La suite a été une succession de défis pour répondre à la demande forte du public et des acteurs spécialisés du secteur. Découvrir le monde des « feiras », ces événements dans la rue ou au sein de prestigieux lieux publics lors desquels une équipe organisatrice sélectionne des produits de qualité à offrir à un public toujours plus exigeant sur l’origine et l’histoire de ce qu’il découvre, les salons spécialisés, les acteurs nationaux du Business to Business, les collaborations et la vente à nos premières boutiques multimarques, l’enrichissement de nos contenus et l’alimentation quotidienne depuis 3 ans de nos différents réseaux sociaux et notamment du réseau roi au Brésil : Instagram etc.
Quelles sont les caractéristiques qui différencient Timirim ?
Timirim est une marque qui fabrique des vêtements et accessoires en coton Pima péruvien biologique. Le coton Pima est considéré le meilleur du monde avec le coton égyptien, ce qui nous permet une douceur incomparable. Nous importons uniquement le fil (il n’existe malheureusement pas encore de coton biologique d’une telle finesse produit au Brésil) et toute la chaîne de transformation ultérieure est réalisée dans l’État de São Paulo par des partenaires sélectionnés avec soin.
L’atelier de confection de 17 couturières notamment suit des principes éthiques de droit du travail et de niveau de salaire bien au-dessus du secteur. C’est grâce à l’ensemble de ces efforts que nous avons remporté le prix Premio EcoEra 2018 dans la catégorie reine alliant le développement durable à l’éthique. Il était également essentiel pour nous de valoriser la qualité de nos processus et l’éthique de Timirim par le label B Corp (Empresa B au Brésil) obtenu fin 2019.
Nous avons également développé une identité colorée et unisexe car nous croyons à ces caractéristiques pour les tout-petits, ce qui va à contre courant de la tradition brésilienne, très « genrée ». Nous rendons hommage au Brésil et à ses richesses par des imprimés brésiliens, et en faisant appel à des artistes traditionnels nationaux. J. Borges, maître de la gravure sur bois traditionnel du Pernambouco qui a signé nos deux premières collections est reconnu patrimoine mondial vivant de l’humanité par l’UNESCO.
Nous misons également sur la transparence de nos process et sur un contact étroit avec notre communauté de clients avec lesquels nous partageons au-delà des produits un ensemble de valeurs.
Comment développe-t-on un business en temps de crise (le Brésil traverse une crise économique sérieuse depuis 2015) ?
Nous avons décidé de créer Timirim en 2015, au pire de la crise économique d’alors, notamment car nous avons vu ce contexte économique difficile comme une opportunité. En effet, il n’y avait à l’époque aucune offre d’emploi dans des secteurs de développement durable porteurs de valeurs, et nous nous sommes dit que c’était le moment ou jamais de consacrer du temps à l’établissement d’une marque et d’une chaîne de production complète. Si nous réussissions le lancement et la pérennisation de l’entreprise dans les suites d’un tel contexte, nous prouvions la solidité de notre modèle.
C’est ce qui s’est passé, et depuis Timirim n’a pas eu de besoin de nouveaux investissements suite aux investissements initiaux préalables à la production et à la création de l’entreprise. L’un des avantages de nous être constitués en temps de crise, c’est que nos différents partenaires industriels avaient du temps à nous consacrer, malgré notre petite taille.
Vous avez rapidement obtenu une reconnaissance dans la presse brésilienne, comment expliquez-vous cet engouement ?
Tout est allé très vite en effet. Nous avons lancé notre première collection en septembre 2017, nous étions déjà dans la presse spécialisée sur la parentalité avant Noël et nous sommes apparus comme marque exemple de produits innovant dans la prestigieuse sélection annuelle du magazine économique national « Exame » en janvier 2018.
Nous le devons selon mon analyse à la combinaison de valeurs éthiques et écologiques, associée à l’aspect culturel de notre collection. Nous avons par exemple été invitées à participer à la première Brazilian Eco-Fashion Week de São Paulo dès novembre 2017, les médias et les acteurs du secteurs commençaient à s’intéresser très sérieusement aux alternatives durables dans la mode, et il existait extrêmement peu de marques consolidées dans ce secteur.
La marque innove en produisant un podcast à destination des femmes enceintes et des futurs parents brésiliens, comment est née cette initiative ?
Effectivement, nous produisons un podcast sur la grossesse et l’accouchement au Brésil. Chaque épisode est le récit d’une femme ou d’un couple, qui parle de sa grossesse et de son accouchement. L’idée étant de faire tomber les tabous et le jugement à l’encontre des femmes et futurs parents sur ces sujets encore très « radicaux » au Brésil.
Par radicaux, j’entends l’inverse de tolérants. Tout le monde a un avis sur la meilleure décision à prendre pour la mère et pour l’enfant, et on oblige encore beaucoup trop souvent les femmes à suivre des procédures qui ne leur correspondent pas et qui ne sont pas indiquées pour cause de raisons médicales justifiées.
L’idée de ce podcast est d’aider les futurs parents brésiliens à se sentir bien dans leur grossesse et dans leurs choix, à ne pas se juger trop durement et à ne pas laisser d’autres les juger et décider à leur place. Au final, la meilleure décision, c’est celle qui laisse les futurs parents sereins et confiants dans ce moment si délicat de la vie. Et j’entends délicat au sens propre comme au figuré.
Timirim base sa chaîne de production et ses valeurs sur le savoir- faire local, mettant en avant les talents brésiliens. Avez-vous envisagé d’exporter vos produits ?
Effectivement, nous avons pensé et voulu la marque pour être réellement une marque brésilienne par essence, et cela malgré notre nationalité française à toutes les deux ! L’idée était avant tout d’adresser le marché national, avec des produits de qualité non importés.
Effectivement, depuis, et comme l’identité visuelle brésilienne plait beaucoup à l’étranger, nous avons intéressé des boutiques à l’étranger, aussi bien en Europe qu’en Asie et en Amérique du Nord. Nous n’avons pas encore concrétisé cette distribution à l’international pour des raisons de complexités logistiques et de taxes pour les boutiques clientes, non habituées à devoir gérer l’aspect administratif qu’implique une importation. Nous y travaillons et espérons concrétiser nos premières exportations cette année, en 2020, en sortie de crise Covid-19.
La deuxième collection a de nouveau rendu hommage à J.Borges, maître de la gravure sur bois traditionnelle du Pernambuco. Quels sont vos projets pour le futur ?
Borges est un artiste incroyable que nous aimons énormément et avec lequel c’est toujours un plaisir de travailler. Nous continuons de collaborer et sommes également en contact avec d’autres artistes pour diversifier nos visuels sur la prochaine collection actuellement en production. En parallèle de l’aspect visuel des imprimés, nous développons la collection et proposons régulièrement de nouveaux modèles, ainsi que de nouveaux services et contenus en ligne (blog, podcast) à notre communauté de clients.
Après 4 années d’activité et un lancement réussi, quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait lancer son entreprise au Brésil ?
Les défauts du Brésil sont également ses opportunités. S’il y a peu de production de produits de qualité suivant des principes de développement durable, le public et les médias en sont friands et sont toujours très encourageants envers les entrepreneurs qui se retroussent les manches pour relever ces défis.
Au Brésil les gens sont de nature encourageante et vous soutiendront toujours avec beaucoup d’enthousiasme dans votre projet d’entrepreneur. Il ne faut pas se décourager et il faut donc s’engager avec une idée objective de ce dont vous êtes capable et du temps imparti pour arriver à votre objectif. Sachez que dans la production, comptez au moins le double du temps théorique pour chaque étape. Et surtout profitez de l’oreille amicale des Brésiliens qui seront toujours ouverts à vous prodiguer des conseils et vous faire profiter de leur expérience.