
Bertrand Chaverot, Managing Director d’Ubisoft Amérique du Sud, nous présente le marché des jeux vidéo au Brésil, son essor, ses défis et son avenir. Le marché mondial du jeu vidéo représente 60,6 milliards de dollars en 2011 et a connu une croissance de plus de 20 milliards de dollars en 5 ans. C’est donc un marché mature qui continue de croître.
Le Brésil ne fait pas exception dans ce domaine mais son entrée très récente dans l’ère des jeux vidéo rend sa situation particulière. Ubisoft, 3e éditeur mondial indépendant de jeux vidéo, nous présente ce marché en phase de décollage.
Quand et comment Ubisoft est arrivé au Brésil ?
Cela a été une histoire longue, passionnante et compliquée. Je suis arrivé pour le compte d’Ubisoft pour la première fois en 1999, dans le but de développer la distribution de nos produits ici. Le marché n’était pas suffisamment développé à l’époque car Sony, Microsoft et Nintendo retardaient leur arrivée. J’ai donc décidé de retourner en France en 2003. En 2008, nous sommes revenus pour créer un studio de développement de jeux vidéo Ubisoft car il y a beaucoup de talents artistiques et techniques inexploités au Brésil.
Nous avons créé un Studio à São Paulo et racheté un studio brésilien à Porto Alegre que nous avons installé dans le Technopole Technopuc de l’Université Fédérale PUC avec qui nous avons créé un Master en Développement de Jeux Vidéos. Mais l’augmentation rapide du Réal, des coûts salariaux, des taxes d’importations plus le niveau d’imposition ainsi que la bureaucratie allait nous rendre encore moins compétitifs que des pays comme les États-Unis ou le Canada.
Ubisoft a alors décidé de se concentrer sur la partie marketing et distribution des jeux de consoles, internet et mobile. C’est l’activité dont je m’occupe aujourd’hui pour l’Amérique du Sud. Le Brésil représente 70% du chiffre d’affaire du continent mais des pays comme la Colombie, le Chili et le Pérou vont décoller très bientôt également.
Aujourd’hui, où en est le marché brésilien des jeux vidéo ?
Le marché brésilien est en train d’exploser depuis 2011, date à laquelle Microsoft a commencé à faire fabriquer sa console Xbox 360 au Brésil à Manaus dans la zone franche. Cela a fait baisser son prix de 40% pendant que le niveau de vie de la population brésilienne continuait de croître. En deux ans, le taux d’équipement brésilien s’est considérablement accru : 1 million de consoles fin 2010, 2,5 millions de consoles pour 200 millions d’habitants fin 2011.
On prévoit d’atteindre les 5 millions fin 2012 et les 10 millions avant fin 2015, soit la taille du marché français en 2011. Les États-Unis à titre de comparaison comptent 100 millions de consoles pour 300 millions d’habitants. En appliquant ce ratio au Brésil, cela signifie que le potentiel maximum du marché brésilien serait de 70 millions de consoles. Le pouvoir d’achat moyen brésilien est et restera inférieur à celui des USA et nous ne visons pas ce chiffre mais cela montre que les perspectives d’évolution sont véritablement attractives.
En ce qui concerne le deuxième segment du marché, celui des jeux free2play qui sont des jeux à téléchargement gratuit sur internet, smartphone, tablettes ou sur les réseaux sociaux avec possibilité d’acheter des éléments supplémentaires au fur et à mesure, leur potentiel de développement est très important également. La population étant grande, jeune, technophile, connectée et avec un niveau de vie moyen qui reste faible, des jeux bon marché comme Angry Birds, Club Penguin, Habbo Hotel sont un succès ici aussi.
Justement, on parle beaucoup de la dématérialisation du secteur des jeux vidéos avec une croissance toujours plus importante des jeux sur internet, réseaux sociaux ou smartphone. Ne pensez-vous pas que le Brésil pourrait sauter l’étape de l’équipement en consoles pour privilégier les jeux digitaux ?
On ne peut pas opposer ces deux segments. Il est vrai que le marché des consoles est en baisse. C’est normal, on entre dans la fin d’un cycle avec des consoles qui ont été lancées sur le marché 6 ans auparavant. Mais de nouvelles consoles vont arriver sur le marché en 2013 et 2014. De plus, en 2013, Sony devrait s’implanter au Brésil pour y fabriquer sa Ps3 et faire baisser de 40% le prix public.
Il n’y a donc pas disparition de l’un au profit de l’autre et le Brésil ne va pas passer l’étape de l’équipement en consoles au profit des « free2play ». Au contraire, ces deux secteurs se renforcent l’un l’autre et développent des interpénétrations. On peut désormais jouer à un même jeu sur console et sur téléphone par exemple.
Comment se manifeste cet essor dans ce marché ?
L’essor du marché a une double conséquence. D’abord, les médias brésiliens commencent à s’intéresser très sérieusement à la communication sur jeux vidéo. Ils s’aperçoivent de la portée que cela représente. La deuxième conséquence est que la distribution investit beaucoup dans la catégorie : les prix accessibles, l’ampleur du marché cible et la qualité de l’offre ont poussé toutes les grandes chaînes de la classe C et D à vendre nos produits comme Casa Bahía, Magazine Luiza, Carrefour, etc.
Quelle est la place d’Ubisoft sur le marché mondial et brésilien ?
Dans le monde, Ubisoft a généré 1,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011, il est le nº3 des indépendants derrière Electronic Arts et Activision. Le groupe emploie 6 500 personnes dont 5 500 dans la partie développement. Sa caractéristique est d’être pionnier dans la création de nouvelles technologies et de dépôts de brevets. L’entreprise est à l’origine de succès mondiaux tels que Assassin’s Creed, Just Dance, Ray Man, Lapins Crétins… En 2011 elle a lancé Rock Smith, le premier jeu pour apprendre à jouer réellement de la guitare électrique sur console.
Au Brésil, il est plus difficile de connaître avec précision la position qu’occupe le groupe puisque le marché n’a pas encore fait l’objet d’études précises. Le cabinet GfK (cabinet d’études de marché) publiera un rapport à la fin de l’année 2012 mais il y a fort à parier qu’Ubisoft gardera la même position au Brésil que dans le monde. L’objectif étant quand même d’atteindre la deuxième place pour les indépendants car nous avons commencé avant les autres à construire nos marques au Brésil en utilisant les médias traditionnels et les médias sociaux. Nous avons déjà 750.000 fans sur notre page Facebook Ubisoft Brasil. C’est la 1ère page de jeux au Brésil et la 1ère page de Ubisoft dans le monde.
Vos concurrents au Brésil sont-ils les mêmes qu’au niveau mondial ?
Non ce ne sont pas les mêmes. Certains gros éditeurs ne sont pas encore très présents. Nous sommes arrivés très tôt. En revanche, les fabricants de consoles (Sony, Microsoft,…), qui étaient les premiers arrivés sur le marché, occupent une place beaucoup plus importante ici qu’au niveau mondial. Les marques de jeux de foot sont également sureprésentées à l’échelle du Brésil. Les jeux Fifa de Electronic Arts ou Pro Evolution Soccer de Konami se vendent beaucoup plus ici que dans les autres pays.
En France, 60% des joueurs de jeux vidéo sont des femmes, qu’en est-il du joueur type brésilien ?
Cette question n’a pas vraiment lieu d’être parce que cela dépend énormément de la catégorie de jeu à laquelle on s’intéresse. Il existe deux grandes catégories de consommateurs. La première sont les femmes et les enfants pour des jeux plus casual de danse, de party games ou d’aérobique. C’est devenu aujourd’hui un segment majeur du jeu vidéo. Ubisoft se concentre d’ailleurs beaucoup sur ce marché. Son jeu Just Dance est le plus vendu aux Etats-Unis depuis 3 ans au mois de Décembre avec 5 millions d’exemplaires vendus pour Just Dance 1, 8 millions pour le 2 et 15 millions pour le 3.
Cette année, deux lancements majeurs sont prévus au Brésil : Just Dance 4 et Just Dance Disney. La deuxième catégorie est celle des Gamers avec des jeux d’action, d’aventure, de sport, elle concerne principalement des hommes entre 15 et 35 ans. Ubisoft est également très présent dans cette branche avec ses jeux Assassin’s Creed, Splinter Cell, Far Cry, Rainbow Six etc…
Quelles perspectives d’avenir sont à prévoir pour une entreprise comme Ubisoft à l’heure du passage à la dématérialisation et aux Cloud Games (jeux accessibles de partout : télé, box, internet…) ?
Nous somme confiants pour l’avenir. Ces évolutions sont très importantes pour les consommateurs mais ne constituent pas un vrai tournant pour les développeurs. Les surfaces et les moyens de distribution changent, c’est vrai et offrent de nouvelles opportunités, mais notre travail reste le même.
Nos préoccupations restent inchangées : offrir une qualité d’expérience de jeu toujours plus réussie et immersive, utiliser les nouvelles technologies et assurer la mise en relation des joueurs entre eux car l’aspect social est devenu central aussi pour les jeux. Or ces enjeux ne dépendent pas des supports mais bien du travail de recherche et d’innovation des Game designers.
Par Alice Renard pour My Little Brasil
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Très très intéressant. Bravo pour la qualité de cet échange.
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