Cyrille Fourny, CFO d’Helibras, fabriquant brésilien d’hélicoptères appartenant au groupe EADS, nous propose son analyse sur les défis majeurs de l’industrie brésilienne et les solutions à envisager.
Actuellement, le Brésil reçoit des critiques sur le dynamisme de son innovation (lire notre article : Le Brésil, un pays en mal d’innovation) ? Quel est votre point de vue concernant l’innovation dans le secteur industriel ?
Le Brésil est un pays très innovant. Le secteur des services est très dynamique, les télécommunications offrent des services de première qualité.
Néanmoins, il est vrai que le pays conserve un retard dans certains domaines, notamment celui de l’industrie. Pour accélérer sa croissance, le gouvernement a fait des choix, dont celui de développer l’industrie automobile et le transport routier. Ce secteur est donc aujourd’hui mature, mais saturé. Parallèlement à cela, les transports en commun et le rail sont insuffisamment développés.
L’innovation fait donc partie des grandes priorités de l’industrie brésilienne. Il y a à la fois un besoin d’innovation technologique mais aussi de création de matière grise. C’est pourquoi les pouvoirs publics réorientent leurs politiques vers le développement de tissus industriels sur le territoire. L’idée est d’avoir à la fois des grands décideurs, donc des entreprises produisant de gros équipements, mais aussi des sous-traitants pour les sous-systèmes et enfin des producteurs de petits composants.
C’est aussi l’objectif d’Helibras de permettre la création de ces « cluster industriels » (pôles industriels) puisque, dans le cadre de notre contrat avec le gouvernement, nous nous engageons à réaliser d’importants transferts de technologies et de production vers le Brésil. Nous avons donc installé des chaînes de production entières sur le territoire et quelques entreprises de sous-traitance brésiliennes commencent à se développer dans notre secteur.
Un autre problème souvent évoqué est celui du manque d’ingénieurs au Brésil. Comment Hélibras perçoit-elle cette difficulté ?
Il y a effectivement un réel souci pour trouver des ingénieurs qualifiés ici. D’abord, le niveau général de l’enseignement supérieur dans l’ingénierie n’est pas aussi élevé que dans les pays du Nord. De plus, les élites, qui sont extrêmement bien formées, ont tendance à partir pour les pays du Nord ou à se spécialiser dans les secteurs de la banque et des services où les niveaux de salaires sont plus élevés, et les carrières attractives. En effet, l’industrie est un secteur moins noble dans le sens où l’on grimpe moins rapidement dans la hiérarchie et où l’évolution des salaires est plus lente.
Ce manque d’ingénieurs est donc également un frein au développement de l’industrie brésilienne. C’est pour cela que je disais tout à l’heure que le pays a aussi un besoin de créer de la matière grise. L’enseignement supérieur doit produire plus d’ingénieurs qualifiés. Cela commence déjà à bouger. Les universités locales multiplient les échanges avec les grandes écoles européennes et d’Amérique du Nord, et développent des partenariats avec des grosses compagnies industrielles pour les financer.
Comment Hélibras réagit-elle à ce manque ? Embauchez-vous beaucoup d’ingénieurs étrangers ?
Dans la mesure du possible nous embauchons des Brésiliens. Mais il faut reconnaître que le secteur de l’aéronautique n’est pas encore très développé au Brésil.
Nous avons développé des partenariats avec les universités brésiliennes pour pouvoir recruter les meilleurs ingénieurs et souvent, nous leur proposons de continuer leur formation au sein d’une de nos entreprises en Europe. Cela leur permet d’apprendre les processus et les méthodes européennes que nous utilisons dans l’entreprise, et cela représente également un formidable accélérateur de transfert de technologies.
Selon vous, quelles différences culturelles en terme de management y a-t-il entre la France et le Brésil ?
Tout d’abord, il faut prendre conscience qu’il y a autant de différences culturelles entre la France et l’Allemagne qu’entre la France et le Brésil. Chaque pays a sa culture et ses propres habitudes en terme de management.
Pour ce qui est des particularités du Brésil, il y a d’abord le fait que c’est un pays très immédiatiste. Il se projette peu dans le futur. Il se concentre beaucoup plus sur l’instant présent.
Il y a aussi des particularités dans les rapports hiérarchiques : la relation hiérarchique est très forte ici. Cela fait partie de la culture puisque, dans le passé, les rapports étaient trés hiérarchisés entre les propriétaires terriens et les ouvriers agricoles. Il y a donc un certain autoritarisme et une verticalité dans les relations de travail. C’est une forme d’organisation similaire à l’Allemagne. Cela peut être efficace, mais pose aussi un problème de prise de décision, ralentie par la nécessité de remonter plusieurs échelons, et laisse moins de place à la concertation.
Enfin, la législation du travail est très forte au Brésil. Il y a une certaine surprotection du salarié par rapport aux Etats-Unis ou aux pays européens.
Cyrille Fourny: mini bio
À la fin de ses études, Cyrille Fourny part travailler au Mexique et aux États-Unis. Il vient au Brésil pour la première fois en 1995, pour le groupe Eurocopter, filiale du groupe EADS. Il travaille pendant quatre ans à Itajubá, dans le Minas Gerais, avant de partir au Canada pour 7 ans. Après un retour en France de 5 ans, il revient au Brésil, toujours pour le compte du groupe Eurocopter, où il est actuellement directeur financier de la filiale Hélibras.
Par Alice Renard pour My Little Brasil