
Alors que le Brésil est dans les années quatre-vingt une dictature sous contrôle militaire, la lutte pour la démocratie trouve un écho dans le club de football du Corinthians au travers de ses leaders, et de son héros Socrates.
La naissance de la démocratie corinthiane au Brésil
On est en 1981 et le Brésil s’apprête à vivre une aventure incroyable au travers, une fois n’est pas coutume, du football. Si celui-ci a connu son apogée autour des années soixante avec trois Coupes du Monde gagnées (1958, 1962 et 1970) il va prendre une dimension inédite avec la naissance du mouvement de « Démocratie corinthiane » du nom du fameux club de São Paulo.
Des conditions de vie misérables pour les footballeurs brésiliens
Depuis 1964 et le coup d’État mené par le général Castelo Branco, appuyé par les États-Unis, le Brésil est alors sous la coupe des militaires, qui en ont pris le contrôle total, en supprimant le pouvoir législatif ainsi que la plupart des libertés individuelles et en suspendant la Constitution. Le régime, qui a bien compris l’importance du football dans la société brésilienne, tente d’assurer un certain degré de paix sociale à grands coups de manipulation des compétitions.
Les joueurs sont assujettis à leur club par des dirigeants corrompus et vivent dans des situations misérables : « Quatre-vingt-dix pour cent des joueurs ont une condition de vie inhumaine. Soixante-dix pour cent gagnent moins que le salaire minimal. Si les joueurs l’acceptent, [les dirigeants] sont paternalistes. Sinon ils sont autoritaires » disait alors Socrates, capitaine emblématique du club du Corinthians.
L’auto-gestion comme étincelle dans le club de São Paulo
Et c’est justement la nomination d’un nouveau président du Corinthians qui fera pencher la balance. À son arrivée Adilson Monteiro Alves, sociologue et ancien leader universitaire anti-régime, va installer un système d´auto-gestion au sein du club. Comme il l’explique lui même dans « Ser Campeão é Detalhe: Democracia Corinthiana », il ne sait pas grand chose du monde du football, et encore moins du métier de dirigeant.
Il a donc l’idée de consulter les joueurs sur les questions de gestion du club, pratique insolite dans un contexte où les joueurs sont « enchaînés » à leur club et utilisés comme des pions. La gestion participative d’Alves ne s’arrête pas là puisqu’il supprime le système des primes pour mettre en place un intéressement aux recettes de billetterie du stade et de la télévision et redistribue les bénéfices à tous les salariés du club.
Très vite c’est le déclic pour certains joueurs et notamment Socrates, Wladimir, Zé Maria et Walter Casagrande qui deviendront les leaders du mouvement de démocratie corinthiane. Il est alors décidé que la moindre question de gestion du club sera soumise à discussion et éventuellement à un vote.
Tout le monde vote pour tout : les heures d’entraînement, l’heure du voyage en bus, le nom de l’entraîneur. « On a même voté pour décider si un joueur qui venait de se marier pouvait partir de Tokyo (où l’équipe devait disputer un match) rejoindre sa femme », raconte Wladimir.
Le football comme moyen d’expression
Le mouvement prend forme, se développe et est d’autant plus crédibilisé que les résultats sportifs suivent. En novembre 1982, quelques jours avant l’élection de gouverneur de l’État de São Paulo, les joueurs du Corinthians envoient un message fort en entrant sur le terrain avec un maillot au dos duquel est inscrit : « le 15, allez voter ».
Pas de prise de position dans le débat politique de la part des joueurs mais simplement une façon de communiquer sur l’importance pour les Brésiliens de développer leur conscience de politique et de société.
Les Corinthians sont sacrés champions de l’État de São Paulo cette année-là en développant un jeu attractif et libéré : « Nous exercions notre métier avec plus de liberté, de joie et de responsabilité. Chaque match se disputait dans un climat de fête (…) Sur le terrain, on luttait pour la liberté, pour changer le pays. Le climat qui s’est créé nous a donné plus de confiance pour exprimer notre art », décrit Socrates.
L’année suivante, en finale du championnat pauliste les joueurs entrent sur la pelouse avec une banderole sur laquelle est écrit « Ganhar ou perder, mas sempre com democracia » (Gagner ou perdre, mais toujours dans la démocratie). Corinthians remporte la finale grâce à un but de Socrates. Le régime ne sait pas comment réagir à cette provocation et les joueurs eux, deviennent un symbole de résistance et sont de plus en plus appuyés par les intellectuels.
« O Doutor Socrates », le leader de la démocratie corinthiane
La tête bien faite, élégant, grand et longiligne meneur de jeu, Socrates médecin de formation, est le capitaine de l’équipe et de la sélection brésilienne. Pourvu d’une grande conscience politique, il aura depuis le début été le leader du mouvement.
Et alors que la démocratie corinthiane bat son plein le mouvement « Diretas Já » dont Socrates fait partie, milite pour l’obtention de l’élection présidentielle au suffrage universel. Si celui-ci avait promis de rester au Brésil si le suffrage universel était obtenu, il part finalement pour l’Italie en 1984.
Son leader exilé, la démocratie corinthiane bat de l’aile et finit par disparaître en 1985 en même temps que s’amorce la transition démocratique du Brésil avec la fin de la dictature.
par Hugo Chambost pour My Little Brasil