
Premier éclairage venu du Nord-Est. La parole à Benjamin Egot, français, Conseiller en charge des Affaires internationales et de la Fédération à la Préfecture de Fortaleza et co-fondateur de l’Observatoire économique France-Ceara.
Quelle est la situation dans l’Etat du Ceará, et plus largement au Nordeste du Brésil dans le contexte du COVID-19 ?
La situation du Brésil sous COVID-19 n’est pas porteuse d’espoir.
Vivant dans ce pays depuis près de 9 ans, je partage régulièrement les faits locaux avec mes proches en France. Tout le monde semble assez confiant que le Brésil, n’étant pas encore durement touché par la pandémie, sera prendre les bonnes mesures car il aura pu avoir la chance d’observer les tentatives, les erreurs et les bonnes décisions des autres pays. Cependant, les visages se figent quand je fais état des dernières mesures, des dernières allocutions et des dernières informations d’ici.
L’allocution au pays fait par le Président Jair Bolsonaro, le soir du 24 mars 2020, a eu l’effet d’un tremblement de terre à tous les niveaux : municipal, gouvernemental, national et même international. Le chef de l’exécutif brésilien s’est livré à un exercice au cours duquel il n’a cessé de contredire, non seulement l‘Organisation Mondiale de la Santé (OMS), toutes les décisions de la grande majorité des pays de la planète, mais aussi (et même) son propre Ministère de la Santé.
Parsemé de provocations, d’ironie mais aussi et surtout de déclarations sans fondements – comme celle de questionner la fermeture des écoles alors que les principaux infectés par le coronavirus sont des personnes âgées -, M. Bolsonaro a initié un mouvement de perplexité, d’incompréhension et d’incohérence dans toutes les sphères du pays.
Quelles actions au niveau des gouvernements des Etats fédérés?
Les Gouverneurs des principaux États de l’Union se sont alors insurgés. En première ligne, les Gouverneurs des États de São Paulo, João Doria, et de Rio de Janeiro, Wilson Witzel, ayant pourtant activement milité pour son élection à la tête du pays.
Dans cette lignée, il est aujourd’hui important faire connaître et reconnaître une initiative inédite : le Consórcio Nordeste. Il s’agit de l‘union des neuf Gouverneurs des États du Nordeste du Brésil qui, au lendemain de l’élection de Jair Bolsonaro et de ses premières interventions et mesures, ont décidé de faire front pour défendre leurs idéaux communs et les valeurs qu’ils reconnaissent comme indispensables au peuple brésilien.
Avant toute chose, et pour des lecteurs non spécialistes du Brésil, rappelons que le Nordeste souffre depuis toujours de discriminations au niveau national. Les stéréotypes de terre en retard, inculte, non développée, arriérée et parfois aussi de politiquement tournée vers le communisme sont malheureusement monnaie courante dans les autres États de la Fédération. Ainsi, ces Etats du Nordeste ont-ils créé au fil des années et de l’histoire du pays, une solidarité et un sens d’unité “nordestines”. Les affronts aux valeurs humaines de la campagne de candidature de Bolsonaro n’ont fait que renforcer cette volonté naissante de faire surgir la voix du Nordeste.
Suite aux déclarations du 24 mars, le Consórcio Nordeste a publié une lettre officielle des Secrétaires de Santé des Etats du Nordeste. Dans cette lettre, les secrétaires font état de leur rejet et de leur stupéfaction suite à l’allocution. Ils y soulignent l’incohérence entre les propos du Président et les actions du Ministère de la Santé, qu’ils soutenaient jusqu’à présent. D’une seule voix, ils assurent ainsi qu’ils vont continuer à appliquer leur politique de mesures préventives, en suivant les “décisions basées sur des évidences scientifiques, suivant les exemples de succès du monde entier”. Ils certifient, de plus, que “la grande majorité des pays du monde, occidentaux et orientaux, ont déjà établi le cours du combat contre le virus et que c’est ce cours que le Nordeste brésilien suivra”.
Et au Ceará, comment est gérée la crise ?
A un niveau plus local, le gouverneur de l’Etat du Ceará, Camilo Santana (PT) prend chaque jour des mesures qui, selon ces termes, sont prises dans le but unique de sauver la vie des cearenses avant tout.
Comme dans d’autres Etats, et aussi dans d’autres pays, des infrastructures sportives sont utilisées à des fins sanitaires. Le stade urbain Presidente Vargas, dans le quartier Benfica de Fortaleza, est le théâtre de la construction d’un hôpital improvisé. Le gouvernement d’Etat du Ceará a réquisitionné l’hôpital Leonardo da Vinci pour y recevoir uniquement des patients atteint du COVID-19. Ce dernier possède ainsi 230 lits dont 30 de soins intensifs.
Vendredi 27 mars, le gouverneur a libéré 200 millions BRL destinés aux achats de matériel pour le combat contre le virus. Dans sa dernière live, Camilo Santana a fait part de sa préoccupation face au manque d’alignement avec le gouvernement fédéral. Ce dernier a fait de nombreuses annonces de nouveaux financements pour les Etats qui n’ont toutefois pas encore quitté le stade de “déclaration”.
De nombreux maires de l’intérieur du Ceará sont très inquiets du fait du manque de ressources dans le but de fournir les hôpitaux en matériel adapté, de sauver les emplois de la population et ainsi faire en sorte que cette dernière puisse s’approvisionner en denrées alimentaires et produits d’hygiène. Une grande partie des caisses du gouvernement d’Etats est dédiée à cet objectif… mais il dépend en grande partie des ressources fédérales.
Dans ce contexte, comment réagit la population brésilienne ?
Cette incroyable confusion nationale dans laquelle nous baignons actuellement, abreuvée de nouvelles préoccupantes du monde entier et en même temps de discours anti-alarmistes des autorités font que la population brésilienne suit les mesures, mais pas forcément à la lettre ou même, les met parfois en doute.
Dans le Ceará, les commerces non indispensables sont fermés par décrets gouvernementaux. Seuls les supermarchés, stations-services, pharmacies et applications de livraisons à domiciles fonctionnent de fait. Bien entendu, les rues sont moins engorgées que d’habitude, mais j’ai personnellement pu observer une trop grande partie de la population effectuer des déplacements qui ne sont pas considérés comme indispensables.
Près de notre appartement, il y a deux jours, j’ai pu voir un groupe religieux se réunir sur un terrain public afin de prier ensemble… en se tenant la main. Aujourd’hui même, un nombre affolant de personnes était au supermarché de notre quartier, la grande majorité sans protection aucune et ne respectant absolument pas les distances de sécurité.
En conclusion, il est possible de sentir un climat étrange, de doute et d’incompréhension générale mêlé à un bombardement d’informations internationales alarmantes d’un côté, et d’informations nationales incohérentes de l’autre. On sent le pouvoir fédéral qui perd la tête et le pouvoir local (Gouvernements d’Etats et Mairies) de plus en plus lucide.
Benjamin Egot,
Fortaleza, 27 mars 2020